Il m’est récemment apparu plutôt frappant de constater, après avoir parlé d’économie mondiale (!) avec certaines personnes de mon entourage, à quel point peuvent converger non seulement leur perception et la mienne, mais également celles de plusieurs experts de la question.
Un constat plutôt essentiel se dégage en fait de toute cette « réflexion collective », à savoir que s’il semble y avoir une faille majeure de l’économie actuelle, c’est que tout y est devenu systémique, de sorte qu’il suffit désormais qu’un bogue moindrement significatif affecte ne fut-ce qu’un seul des aspects fondamentaux de l’économie pour que celle-ci se mette à déraper… Et comme l’économie mondiale est toujours plus « intriquée », des dérèglements généraux peuvent être occasionnés par des « bogues » qui, du moins au départ, pouvaient paraître de moins en moins globaux… S’il avait donc fallu, au début des années 90, que toute l’économie asiatique entre en crise économique pour que le monde entier en ressente les contrecoups, nous avons vu en 2008 qu’il n’a fallu que ce qui n’était au départ qu’une simple crise immobilière, d’abord restreinte aux États-Unis, pour que le monde entier finisse par sombrer dans un ralentissement économique dont nous ne paraissons même pas encore nous être redressés…
Par ailleurs, on pourrait dire que l’économie mondiale se comporte de plus en plus comme s’il s’agissait d’une énorme Bourse, avec toutes les fluctuations et les bulles spéculatives que cela peut impliquer. Après tout, ce n’est pas nécessairement si étonnant, puisque l’économie mondiale s’avère de plus en plus intiment associée, voire enchaînée à la Bourse elle-même, ce qui en soi contribue à accentuer fortement l’ampleur des dérapages lorsqu’ils se produisent. La crise de 2008 en a bien sûr été un exemple éloquent, car tous ont alors pu réaliser que si ce n’avait été des excès des marchés boursiers et des institutions financières, excès que tous se sont empressés de qualifier d’inacceptables (quoique seulement une fois la crise déclenchée, et donc une fois qu’il était beaucoup trop tard pour qu’un tel constat puisse servir à quoi que ce soit…), la crise immobilière américaine n’aurait jamais connu de telles proportions, et n’aurait sans doute même pas eu lieu au départ.
Si la crise de 2008 nous aura permis en bout de ligne de tirer des conclusions aussi fondamentales qu’irréfutables, c’est premièrement que l’économie capitaliste actuelle est loin d’être à l’abri d’une crise majeure, au cas où certains en doutaient encore, et deuxièmement qu’une telle crise peut manifestement se voir causée d’une façon des plus inattendue, comme en atteste le fait qu’à peu près personne n’avait vu venir celle de 2008.
Mais si maintenant nous tentions justement d’être un peu plus prévoyants qu’en 2008, et si nous tentions en fait d’identifier les facteurs qui seraient les plus susceptibles de pouvoir engendrer une prochaine dérive, sur quoi notre attention pourrait-elle donc se poser ?
Le choix est en fait difficile, car ce n’est pas comme si le monde manquait présentement de problèmes, et plus précisément de problèmes assez sérieux pour s’avérer susceptibles d’affecter sérieusement l’économie mondiale dans son ensemble…
Mais s’il est un facteur qui risquerait de ressortir d’entre les autres, c’est bien sûr le prix du pétrole, pour ne mentionner que cette ressource en particulier. En effet, la valeur économique de l’or noir ne pourra faire autrement que de continuer à grimper en même temps que sa rareté, et peut-être même d’une façon carrément exponentielle, dans la mesure où, d’une part, il s’agit d’une ressource non-renouvelable, tandis que nous en sommes d’autre part toujours plus dépendants, l’activité économique mondiale croissant à un rythme toujours plus grand et demandant donc de plus en plus de pétrole, alors que les réserves pétrolifères existantes sont toujours plus difficiles d’accès, et donc couteuses à exploiter.
On pourrait être porté à se dire que le prix du pétrole pourra bien continuer à gonfler indéfiniment, et qu’à la limite, ce ne serait que d’autant plus « dommage » pour notre portefeuille individuel… Sauf que le vrai problème, c’est qu’en continuant à enfler de la sorte, celui-ci ne pourra faire autrement que d’éventuellement atteindre un seuil à partir duquel l’économie ne pourra plus s’adapter… Le moins pire qui pourra se produire serait alors un ralentissement général ; or, c’est justement à partir de là que les choses risqueraient de se compliquer tout autrement plus sérieusement…
En premier lieu, nous savons tous qu’un ralentissement tend habituellement à s’alimenter de lui-même, ne serait-ce que pendant une période plus ou moins prolongée. En second lieu, des mesures de stimulation économique étatiques ne pourront vraisemblablement plus être envisagée, étant donné que la plupart des États à travers le monde, y compris le nôtre, ont à peu près fini d’utiliser en 2008 toute la « marge de crédit » dont ils disposaient, sans que cela ait d’ailleurs permis à l’économie mondiale de réellement se relever. En troisième lieu, il faut garder en tête qu’une réelle pénurie de pétrole aurait pour effet de non seulement compliquer sérieusement la relance économique, mais de faire disparaître l’une des assises les plus fondamentales sur laquelle l’économie mondiale a pu reposer jusqu’ici soit l’accès à du pétrole à bon marché….
Si cela n’est alors pas suffisant en soit, il ne restera plus qu’à attendre qu’un des autres maillons de la chaîne économique lâche pour de bon pour que l’on puisse assister à un déraillement global d’une ampleur plus grande qu’à peu près tout ce qu’on a pu voir jusqu’ici…
Se pourrait-il donc, en ce sens, qu’il nous faille déjà commencer à nous préparer à la possibilité d’avoir à vivre la transition, et ce d’une façon plus ou moins abrupte, à une ère post-pétrolière et donc post-industrielle, comme nous en préviennent d’ailleurs des institutions comme le Club de Rome où le mouvement des Villes en Transition, pour ne nommer que celles-ci ?
Une chose paraît on ne peut plus claire, en tout cas, et c’est que le pétrole à bon marché, comme toute « bonne » chose, connaîtra forcément une fin, un jour ou l’autre… Alors le « gros bon sens » le plus élémentaire ne commanderait-il pas d’au moins commencer à s’interroger sur ce que l’on pourrait ou devrait faire à partir d’un tel moment, plutôt que de continuer, comme nous le faisons présentement, à faire comme si de rien n’était ?
Charles-Olivier B. Tremblay